Liberté de la presse et mandats d’arrêt : jusqu’où peut aller le journaliste ? (Par Kémo DAFFÉ)

Alors que les journalistes sont appelés à informer le public, même sur les sujets les plus sensibles, une question se pose avec acuité : peut-on accorder un entretien à une personne sous mandat d’arrêt ?
Entre le devoir d’informer et le respect de la loi, la frontière est parfois ténue, surtout dans un contexte où les questions de justice et de transparence sont au cœur du débat public sénégalais.

Informer n’est pas protéger

Au Sénégal, la Constitution du 22 janvier 2001, en son article 8, garantit la liberté d’expression et de la presse. Le Code de la presse (Loi n° 2017-27 du 13 juillet 2017) en fait un pilier de la démocratie, tout en rappelant les devoirs du journaliste : rechercher la vérité, respecter la dignité humaine et éviter tout comportement contraire à la loi.

Dans ce cadre, interviewer une personne sous mandat d’arrêt n’est pas, en soi, une infraction. Le journaliste exerce son droit d’informer. Toutefois, il doit veiller à ne pas se rendre complice de la dissimulation ou de la fuite de cette personne.
L’article 97 du Code pénal sénégalais sanctionne toute personne qui « aura soustrait un individu à l’exécution de la justice » ou « favorisé sa fuite ».

Autrement dit, le journaliste peut informer, mais ne peut pas protéger.

Un équilibre fragile entre vérité et légalité

Des médias internationaux comme France 24, BBC ou Al Jazeera ont déjà diffusé des entretiens avec des personnalités recherchées ou poursuivies, invoquant le droit du public à être informé. Ces précédents illustrent la légitimité de la démarche journalistique, mais aussi la nécessité de prudence.

Au Sénégal, la Commission nationale de la carte de presse et de la validation des acquis (CNCPV) rappelle régulièrement que le journaliste doit toujours agir dans le respect de la loi et de l’éthique professionnelle.
En cas d’entretien avec une personne poursuivie :

il doit éviter toute atteinte à la sécurité nationale ou à la bonne marche de la justice ;

il doit contextualiser la situation judiciaire de son interlocuteur, pour que le public comprenne les enjeux ;

et il doit garantir l’équilibre de l’information, en cherchant la version des autorités judiciaires ou des parties plaignantes.

Le rôle du pays hôte

Dans le cas où la personne sous mandat d’arrêt se trouve à l’étranger, le journaliste est soumis aux lois du pays où il exerce. Si l’État d’accueil n’a pas exécuté le mandat, l’entretien peut être réalisé légalement sur son territoire.
Mais la diffusion, notamment vers le pays d’origine, peut soulever des tensions diplomatiques ou des poursuites symboliques, selon la portée politique du dossier.

Ainsi, le journaliste doit mesurer les conséquences d’une telle diffusion et se protéger juridiquement, par exemple en informant son média et son avocat avant toute publication.

L’éthique comme boussole

Le Code de la presse sénégalais, à travers la Charte des journalistes, insiste sur la responsabilité morale du reporter :
« Le journaliste s’interdit de confondre sa mission d’information avec une mission de propagande ou d’influence. »

Cela signifie que le journaliste peut donner la parole à un fugitif, mais pas la transformer en tribune politique ou judiciaire. Il doit conserver une distance critique, recouper les faits et éviter tout ton partisan.

Entre courage et responsabilité

Dans un environnement médiatique souvent polarisé, interviewer une personne sous mandat d’arrêt peut être perçu comme un acte de courage professionnel — voire de témérité.
Mais ce courage ne doit jamais se substituer à la responsabilité. Le journaliste doit toujours se rappeler que le droit à l’information n’exonère pas du respect de la loi.

Informer, oui. Entraver la justice, non.

Pour conclure, le métier de journaliste exige discernement, audace et rigueur. Accorder un entretien à une personne sous mandat d’arrêt n’est pas une faute professionnelle, tant que le journaliste reste fidèle à la loi et à l’éthique.
Le droit à l’information du public doit toujours se conjuguer avec le respect de la justice — car la vérité, aussi courageuse soit-elle, ne doit jamais se bâtir contre le droit.

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