En août 2025, des vidéos de France 24 manipulées et publiées sur TikTok annoncent une éruption volcanique imminente à Dakar. Ces vidéos générées par l’intelligence artificielle (IA) à partie des éditions de journal de France 24 ont semé la panique sur les réseaux sociaux et suscité des réactions rapides des experts.
La première vidéo manipulée a été publiée sur TikTok le 13 août 2025 par le compte Rachmakoss2 » avec comme titre « des scientifiques ont découvert un volcan dormant sous Dakar, dont l’éruption pourrait survenir à tout moment ». Cette vidéo qui montre le journaliste Kalidou Sy de France 24 a recueilli en moins de cinq jours plus de 27 400 likes, 1 353 commentaires, 4 045 partages et 2 624 sauvegardes.
Le 14 août 2025, le même compte TikTok publie une seconde vidéo, avec comme titre « Dakar sous la menace d’une éruption volcanique ». Cette nouvelle vidéo manipulée où on voit la journaliste Fatimata Wane de France 24 a généré en moins de quatre jours 8 290 likes, 670 commentaires, 4 058 partages et 1 195 sauvegardes.

Capture d’écran des vidéos manipulées publiées sur TikTok par le compte Rachmakoss2 le 13 et 14 août 2025
Ces vidéos manipulées devenues virales sur les réseaux sociaux ont été partagées sous différents titres tels que « les scientifiques confirment que le volcan dormant sous Dakar pourrait exploser dans moins de 5 jours » ; « Alerte rouge à Dakar : un volcan pourrait entrer en éruption dans 4 jours ».
Des démentis en cascades
Les vidéos devenues virales n’ont pas laissé indifférents les médias. Entre les 18 et 10 août 2025, plusieurs articles de démenti ont été publiés. Même si le ministère de l’Intérieur, la Protection civile, et l’Agence Nationale de l’Aviation Civile et de la Météorologie (ANACIM), n’ont publié aucun communiqué sur cette rumeur, des médias comme RFI, AFP, et Sénéweb, en collaboration avec PesaCheck ont apporté des démentis.
« Cette vidéo est totalement fausse. Elle a été inventée pour apeurer et mettre les populations de Dakar dans une menace qui n’est pas fondée », explique le professeur sénégalais Papa Goumba Lô, géologue, expert en prévention des risques naturels, contacté par la cellule Info Vérif de RFI.
Contactée par l’AFP, la rédaction de France 24 a en effet démenti avoir annoncé une éruption imminente à Dakar. « Cette vidéo est un faux reportage. », clarifie Yu-Hsiang Wang, chargé de Relations Presse de France 24. Il s’agit selon Yu-Hsiang Wang d’une « infox« .

Contacté par Sunugox.info, Dora Niang, géologue environnemental, géotechnicien et président de l’Association des géologues et environnementalistes du Sénégal, affirme que « ces informations ne reposent sur aucune base scientifique ». « Aucune activité éruptive ou sismique n’est observée à Dakar ou dans ses environs », précise-t-il.
Selon l’expert, la ville de Dakar repose sur une presqu’île d’origine volcanique constituée il y a plusieurs millions d’années. « Cette formation géologique est marquée par la présence de roches volcaniques telles que le basalte et les dolérites… Le volcanisme de la presqu’île est ancien et définitivement éteint. Aucun indice d’activité magmatique ou sismique n’est actuellement enregistré à Dakar ou dans ses environs », explique-t-il.
Des vidéos de France 24 manipulées avec l’IA
A parties des données recueillies sur les vidéos manipulées (information des titrages, tenues des journalistes de France 24, etc.), la cellule d’investigation numérique de Sunugox.info a remonté aux vidéos originales. Il s’agit des extraits du Journal de l’Afrique publiés sur TikTok par un compte appelé « JT Afrique (@jtafrance24) ».
L’extrait du journal présenté par Fatimata Wane a été publié le 11 juillet 2025. Cet extrait qui a été viral avec plus de 766 900 vues et 5 617 partages a porté sur les déclarations du premier ministre sénégalais Ousmane Sonko qui interpelle l’action du président Bassirou Diomaye Faye face aux attaques des adversaires politiques.
Le second extrait de journal présenté par Kalidou Sy a été publié le 4 août 2025. Visionné par plus de 183 700 internautes avec 285 partage, cet extrait porte sur l’arrestation à Abidjan, Côte d’Ivoire, de 11 personnes dont des militants du parti politique de l’opposition PPA-CI après des heurts à Yopougon.
Après analyse, on se rend compte que le compte TikTok « JT Afrique (@jtafrance24) » qui a plus de 1 100 000 followers et qui publie régulière des extraits des éditions du Journal Afrique de France 24, ne figure pas dans la liste des comptes officiels mentionnés par la chaine sur YouTube.
Néanmoins, dans la description des vidéos publiées par la chaîne sur YouTube, il est mentionné un compte TikTok certifié France 24, différent du compte JT Afrique.

Capture d’écran des canaux de diffusions des contenus de France 24
En poursuivant donc nos recherches sur la chaîne officielle du France 24 sur YouTube, nous avons trouvé l’intégralité des éditions du Journal Afrique de France 24 du 11 juillet 2025 et du 4 août 2025. Ces éditions du Journal Afrique n’ont aucunement abordé un sujet lié à une éruption volcanique au Dakar.
L’examen des fichiers révèle des empreintes compatibles avec des outils de génération vidéo, comme « Stable Video Diffusion« . Ces logiciels laissent des signatures numériques qui permettent d’identifier une création artificielle.
L’analyse de la voix off montre que les voix attribuées aux journalistes Fatimata Wane et Kalidou Sy ne sont pas naturelles. « Les fréquences vocales présentent des anomalies typiques d’un synthétiseur vocal », explique Moussa Diabaté, un technicien de son. « Les voix humaines comportent des nuances que même les meilleurs algorithmes peinent à reproduire parfaitement », explique-t-il.
L’analyse technique du contenu montre clairement qu’il s’agit d’une vidéo falsifiée. L’examen, image par image, révèle un défaut de synchronisation des lèvres des journalistes, une des principales caractéristiques des vidéos deepfakes. Aussi, le ton et les formulations utilisés ne correspondent pas au style journalistique habituel de France 24. Ces deepfakes qui visent donc à semer la panique et troubler la quiétude des Dakarois.
L’économie de la désinformation
Alors que la cellule OSINT de Sunugox.info tentait de remonter la piste des auteurs de la fausse alerte volcanique, elle a été confrontée à un phénomène troublant. Tous les comptes ayant relayé les vidéos ont disparu de TikTok. Cette disparition simultanée des comptes des auteurs n’est pas un détail, « elle fait partie de la stratégie », selon Dr. Amadou Ba, chercheur en sécurité informationnelle à l’Université Cheikh Anta Diop.

Capture d’écran des résultats de recherche des comptes sur TikTok
Pour l’expert, il s’agit donc d’une opération de désinformation organisée, combinant deepfake, amplification coordonnée et effacement planifié. Un système pensé pour frapper vite, disparaître vite et exploiter les failles de confiance du public sénégalais.
Notre analyse sur l’historique des comptes ayant partagé ces deepfakes dévoile un schéma de désinformation méthodique et répétitif. L’analyse rétrospective sur six mois de publications de ces comptes met en lumière une spécialisation inquiétante dans les fausses alertes sanitaires et environnementales.
Selon l’expert en sécurité informationnelle, Dr. Amadou Ba, « ces comptes opèrent comme des usines à clics, exploitant l’émotion pour maximiser l’engagement ». Pour Abdoulaye Ndaw, expert en cybersécurité, la disparition des comptes n’a rien de spontané. « La suppression rapide indique une opération structurée, pas une réaction improvisée. Cela traduit une anticipation des mécanismes de modération, » explique-t-il.
Pour lui, cet épisode illustre la logique d’une nouvelle économie de la désinformation, fondée sur la vitesse, la volatilité et la rentabilité du faux. « Nous assistons à ce que j’appelle le coup médiatique jetable. Les opérateurs misent sur la viralité immédiate : l’objectif est d’obtenir un maximum d’interactions avant que la vérité ne rattrape le mensonge », analyse-t-il.
Il précise que cette mécanique repose sur trois principes. D’abord, la rentabilité éclair : les revenus et la visibilité se concentrent dans les premières heures, avant les démentis. Ensuite, la stratégie du jetable : il est plus simple et moins coûteux de créer plusieurs comptes anonymes que d’en maintenir un seul. Enfin, la disparition calculée : en effaçant les traces à temps, les initiateurs réduisent les risques d’identification tout en laissant vivre la rumeur.
« Le message, lui, survit à son support. Même après la suppression des comptes, la fausse information continue de circuler, reprise, adaptée, amplifiée », conclut Abdoulaye Ndaw. « Nous assistons à l’émergence d’une désinformation jetable, conçue pour un impact immédiat puis rapidement recyclée », constate Abdou Diaw, journaliste économique.
Cette stratégie de disparition des auteurs des fake news marque un tournant. La désinformation devient donc éphémère, mobile et difficile à retracer, obligeant les enquêteurs à adapter leurs méthodes pour suivre des traces qui s’effacent.
Même si cette analyse des experts semble très pertinente, il n’est exclu que ces comptes soient désactivés après suite aux signalements des internautes ou des autorités sénégalaises.
Impact et conséquences : les dégâts réels du virtuel
Cette fausse alerte de l’éruption d’un volcan à Dakar a semé la panique chez plusieurs sénégalais. « J’ai appelé ma famille à Yoff pour les prévenir. Mon frère a même commencé à préparer des affaires pour évacuer », raconte Diama Diagne, agent du ministère de l’Éducation nationale.
« Nous avons reçu une vingtaine d’appels inquiets dans la soirée. Les gens croyaient à une véritable alerte », confie une source au sein de la Protection civile. Face à la propagation de la rumeur, le compte TikTok « Le Journaliste citoyen » a publié un démenti en langue locale Wolof afin de rassurer les populations affolées.
Sous cette publication, plusieurs internautes sénégalais ont exprimé leur panique et leur confusion avant la clarification. Les commentaires montrent que l’alerte initiale avait suscité de vives inquiétudes, certains internautes évoquant même des mesures de précaution prises à tort. Ces réactions illustrent l’impact rapide de la désinformation avant toute vérification officielle.

Commentaire en Wolof traduit en français : « J’avais rangé mes effets personnels pour aller à Joal »
Un cas particulier grâce à l’IA, mais pas isolé
Ce type de désinformation n’est pas isolé, même s’il est plus élaboré grâce aux outils de l’IA. En mai 2021, une fausse alerte au tsunami avait circulé en Côte d’Ivoire, diffusée à l’aide de vidéos manipulées par deepfake. En octobre 2021, une fausse éruption volcanique au Cameroun avait suivi le même schéma de propagation : vidéos sorties de leur contexte, amplification sur les réseaux sociaux, puis panique locale avant démenti officiel.
Selon Dr. Amadou Ba, expert en sécurité informationnelle, les récentes vagues de fausses alertes témoignent d’une évolution marquée des techniques de désinformation en Afrique de l’Ouest. « Nous observons une professionnalisation des campagnes de désinformation. Les acteurs exploitent désormais l’intelligence artificielle générative pour produire des contenus visuellement crédibles, adaptés aux sensibilités locales et aux failles de confiance dans les médias », explique-t-il.
Pour Dr. Ba, le phénomène dépasse le simple cas d’un deepfake isolé. Il met en lumière un écosystème organisé de désinformation, structuré autour de réseaux capables d’exploiter les failles du paysage informationnel. « La facilité avec laquelle une fausse catastrophe peut être fabriquée et relayée doit nous interroger sur notre résilience collective face aux manipulations numériques », souligne-t-il.
Dr. Ba observe que ces opérations reposent sur la sophistication technique rendue possible par l’IA générative, la coordination organisée d’amplificateurs en ligne et l’exploitation systématique des peurs collectives et des fractures sociales existantes.
Ce rapport a été produit par Sunugox / Mortalla Diop dans le cadre du programme d’incubation du Programme de bourses institutionnelles African Digital Democracy Observatory (ADDO). Il a été réalisé sous le parrainage de Code for Africa, avec le soutien technique de la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) GmbH, financée par le Bundesministerium für wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung (BMZ) et l’Union européenne (UE). ADDO respecte l’indépendance journalistique des chercheurs, en leur offrant l’accès à des techniques et des outils avancés. La prise de décision éditoriale reste du ressort de Sunugox / Mortalla Diop. Vous souhaitez en savoir plus ? Visitez https://disinfo.africa/