Par Mady Camara
Dakar, Sénégal – pour le réseau REACH (Reporters for Early Age Children in Humanitarian Crisis)

Alors que l’attention médiatique et politique se focalise sur les conflits armés, les déplacements massifs de populations ou encore les catastrophes naturelles, une crise tout aussi pressante, bien que souvent ignorée, sévit au Sénégal : celle qui touche les enfants en bas âge, particulièrement vulnérables face aux effets croisés du changement climatique et des crises humanitaires. Dans plusieurs régions du pays, notamment celles les plus exposées à l’insécurité alimentaire et à la pauvreté, les enfants de 0 à 5 ans subissent de plein fouet les conséquences de la dégradation de l’environnement, des sécheresses récurrentes, de la rareté de l’eau, du manque d’infrastructure de base et des déplacements de familles entières. Ces jeunes vies sont frappées à un moment crucial de leur développement physique et cognitif, pourtant elles sont trop souvent absentes des stratégies de réponse gouvernementales et humanitaires. Cette omission représente une menace majeure pour l’avenir social, économique et humain du Sénégal.

Des enfants face à la faim et à la malnutrition
Dans les zones les plus vulnérables comme Matam, Podor, Tambacounda et Kédougou, la sécheresse, le manque d’infrastructure ainsi que la rareté des ressources alimentaires entraînent une montée inquiétante des cas de malnutrition. Le rapport annuel 2025 de l’UNICEF pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre , mentionnent que 320 000 enfants de moins de cinq ans ont été dépistés au niveau communautaire, parmi lesquels 20 100 ont été orientés pour malnutrition aiguë. Un autre rapport de l’UNICEF indique qu’entre 2023 et 2024, le nombre total d’enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère dans certains pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre est passé de 1,5 million à 1,6 million.
En 2024, la situation nutritionnelle des enfants au Sénégal demeure préoccupante. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), le taux de malnutrition aiguë globale chez les enfants de moins de cinq ans est passé de 8 % à 10 % au cours des cinq dernières années, ce qui indique une détérioration de l’état nutritionnel dans le pays.
Face à cette situation, le gouvernement sénégalais, en collaboration avec le PAM, a lancé un programme de distribution de riz fortifié dans les écoles afin d’améliorer la nutrition des élèves et de promouvoir une éducation de qualité.
Par ailleurs, l’UNICEF souligne que six enfants sur dix âgés de 6 à 59 mois sont anémiques, et que la prise en charge des infections respiratoires aiguës, de la diarrhée et du VIH pédiatrique reste sous-optimale.
“ Ce sont des enfants qui commencent leur vie sans suffisamment de nourriture, sans accès à l’eau potable et sans soins médicaux de base. Cela compromet gravement leur développement physique et mental”, alerte Aliou Bakhoum, chef d’antenne à l’ONG La Lumière, une structure qui lutte contre les pires formes du travail des enfants dans la région de Kédougou.

Crise climatique et déplacements internes : l’enfance en errance
Les changements climatiques accélèrent les déplacements internes au Sénégal. Dans la région aurifère de Kédougou, par exemple, la migration des familles vers les zones minières expose les enfants à des conditions de vie précaires : logements insalubres, absence de services de santé, insécurité et parfois exploitation.
« Dans certains villages miniers, on voit des enfants laissés seuls toute la journée, sans encadrement, pendant que les parents cherchent de l’or », ajouta t-il. Ce contexte accroît les risques d’abus, de négligence et de traumatismes psychologiques.

Éducation préscolaire : une couverture encore très limitée !
Malgré les efforts du gouvernement, le taux brut de scolarisation (TBS) est de 18,2 % pour le préscolaire, 81,0% pour le primaire, selon le rapport de l’ANSD de Juillet 2024— bien en deçà de la moyenne régionale. En milieu rural, ce taux est encore plus bas. Les infrastructures d’accueil de la petite enfance sont rares, les éducateurs peu formés, et les programmes inadaptés aux réalités locales.
« La petite enfance est le socle du développement humain. Ne pas investir dans cette phase critique, c’est hypothéquer l’avenir de toute une génération », affirme monsieur Coundoul, éducateur à la petite section dans le village de Barkedji, dans la région de Louga.

Un appel urgent à l’action
Le réseau international REACH (Reporters for Early Age Children in Humanitarian Crisis), à travers une récente déclaration , appelle à intégrer la protection de la petite enfance dans toutes les réponses humanitaires, climatiques et sociales.
Pour le Sénégal, cela signifie :
● Développer des centres d’accueil communautaires dans les zones rurales et en situation de crise;
● Renforcer les services de santé et de nutrition pour les enfants de moins de cinq ans ;
● Augmenter l’investissement public dans le préscolaire ;
● Former et déployer davantage de professionnels qualifiés pour accompagner les familles ;
● Prendre en compte les besoins spécifiques des tout-petits dans les plans d’adaptation au changement climatique.
La petite enfance est une étape cruciale qui conditionne la santé, l’apprentissage et l’épanouissement des individus tout au long de leur vie. La négliger revient à compromettre les fondations du développement humain et de la cohésion sociale. Au Sénégal, les enfants de moins de cinq ans demeurent insuffisamment pris en compte dans les politiques publiques, malgré leur vulnérabilité et l’importance stratégique de cette période. Ce manque d’investissement accroît les inégalités, fragilise les acquis en matière de développement et limite les capacités du pays à faire face aux crises actuelles et futures. Pour bâtir une nation plus résiliente, équitable et prospère, il est essentiel de faire de la petite enfance une priorité nationale. Cela passe par un engagement accru en faveur des services sociaux de base – notamment la nutrition, la santé et l’éducation – afin de garantir à chaque enfant les conditions d’un avenir digne et prometteur.